L ' enquête historique

un cadre d'interprétation des relation société-environnement

Notre démarche propose d’interroger les apports de la recherche historique dans
l’élaboration des politiques territoriales d’aménagement.

 

Nous partons de l’hypothèse qu’en montrant que les réalités paysagères sont toujours mouvantes et singulières, les savoirs historiques sur les paysages amènent à appréhender les débats sur l’aménagement sous un nouvel angle. En effet la perception et l’action auxquelles les paysages sont soumis sont liées à un contexte environnemental, social et culturel particuliers qu'il convient de considérer dans la durée.

 

Ainsi l’étude des « temps du paysage » doit permettre de mieux comprendre notre présent et être un support pour imaginer des trajectoires futures.

 

De la fin du XVIIIème à 1860

En discutant avec les habitants, les agriculteurs etc... on apprend que la prairie mothaise était autrefois un communal. D’après eux, les usages collectifs semblent avoir pris fin dans les années 1960. On part donc de cette hypothèse pour débuter l’enquête historique.

 

Le plan terrier de 1776 nous confirme la présence de communaux. Ces derniers appartiennent aux seigneurs de La Mothe-Saint-Héray qui autorisent les paysans à faire pâturer des bêtes librement. L’agriculture traditionnelle et les communautés rurales de l’ancien régime avaient un besoin important en espaces prairiaux car s'inscrivant dans un cycle général de pénurie en ressource fourragère.

Reconstitution en bloc diagramme des paysages de la fin du XVIIIème siècle à 1860 (Hypothèses)
Reconstitution en bloc diagramme des paysages de la fin du XVIIIème siècle à 1860 (Hypothèses)

Le cercle vicieux de l’agriculture "traditionnelle" jusqu'au milieu du XIX°siècle :

 

Au-delà des cultures secondaires (vignes, chanvre, lin), on observe une prédominance des exploitations céréalières qui sont une nécessité absolue, compte tenu de la faiblesse des rendements. Cette prédominance implique un manque de prairies, entrainant un déficit de fourrage. Le système comporte alors peu d’élevage, donc peu de fumure, ce qui impose une jachère importante. 

Dans cette perspective, les terrains communaux sont une nécessité, car ils permettent d’entretenir le petit troupeau (force de travail, source de fumure ou petit revenu secondaire).

A partir de la Révolution, on assiste à une véritable attaque envers le système des communaux. Considérée comme un frein à l’initiative individuelle, la vaine pâture fait l’objet d’une réglementation de plus en plus restrictive au cours du XIXème siècle. Les communaux sont ainsi considérés comme la raison du maintien du cercle vicieux de l’agriculture traditionnelle. La conflictualité est donc vive sur ces espaces, opposant ceux qui veulent clôturer et ceux qui veulent laisser l’endroit ouvert.

 

Au XIXème siècle, ce ne sont pas seulement les prairies qui font l’objet d’usages collectifs, la ressource hydrique est également un bien commun. Les prises d’eau par exemple, permettent d’inonder les prairies pour faire une seconde récolte. Les niveaux d’eau des biefs des moulins sont également contrôlés et régis par des règles collectives que les ingénieurs consigneront dans des règlements dans la seconde partie du XIX°.

De plus, contrairement à ce que l’on pourrait penser aujourd'hui, les eaux ne sont pas limpides à l'époque. En effet, les activités industrielles (rouissage, tanneries...) souillaient les eaux, ce qui scandalisait les médecins et hygiénistes de l’époque en plus de causer d’importantes dégradations environnementales. Notons cependant le caractère organique de ces pollutions.

Des années 1880 à 1950

Les années 1880 marquent une évolutions importante des paysages de la vallée, particulièrement en terme de pratiques agricoles, ainsi que l’émergence d’une nouvelle relation société-­cours d’eau :

Reconstitution en bloc diagramme des paysages de 1870 à 1950 (Hypothèses)
Reconstitution en bloc diagramme des paysages de 1870 à 1950 (Hypothèses)

On observe ainsi à cette époque de profondes transformations  socio-économique sur le territoire, accompagnant la révolution industrielle et les progrés de l'agriculture:

 

- Le déclin des activités proto-industrielles des moulins et de l'utilisation de la force hydraulique au profit des énergies nouvelles (vapeur, électricité) et des grands établissements (exemple: minoterie Geoffret à Saint-Maixent, depuis 1789 et encore en activité aujourd'hui)

 

- Le déclin de l’artisanat de transformation des peaux (tanneries) et du textile (rouissage), responsables d'une pollution sévère des rivières.

 

- La crise du phylloxéra va ravager les vignes francaises à partir de 1863. Le Vignoble des coteaux sera couché en herbe pour le plus grand profit des coopératives laitières qui se constituent à l’époque (Bougnon,Soignon …).

 

- Cette nouvelle économie laitière et les lois de 1889 qui interdisent la vaine pâture ne semblent pas avoir fondamentalement bousculé le système paysager dans les fond de vallées. On continue à se servir de la prairie mothaise comme d’un communal. Cependant, avec les progrès techniques, agronomiques, et avec l’essor des cultures fourragères, la prairie mothaise n’est plus aussi vitale pour les communautés rurales qu’avant. Les ressources fourragères se sont multipliées, diminuant la pression sur ces espaces partagés, et les usages collectifs perdurent mais s’inscrivent au sein d’une agriculture beaucoup plus moderne. On assiste également à cette époque à la mise en oeuvre des premiers réseaux communaux d’adduction d’eau potable (fin des puits et des sources).

Des années 1960 à 1990

L'aprés deuxième guerre mondiale correspond à une pèriode d’importantes modifications des paysages liées principalement aux mutations agricoles. Déja touché par une exode rurale depuis plusieurs décennies, le territoire de la haute vallée de la Sèvre va se recomposer autour de nouvelles logiques d'aménagement et d'orientation économique (productivisme).  D’une manière générale, si les fonds de vallée ont été peu touchés par les réaménagements fonciers d’après guerre (vallées souvent trop étroites, terres trop humides), les ingénieurs de la DDAF chargés de la Prairie Mothaise disposaient ici d’espaces confortables (avec peu de contraintes) facilitant sa transformation.

Reconstitution en bloc diagramme de 1960 à 1990
Reconstitution en bloc diagramme de 1960 à 1990

Propos du Général De Gaulle sur la modernisation de l'agriculture en 1965

Les changements de l'aprés guerre sur les paysages de la vallée de la Sèvre sont  ainsi notables:

 

- A la multitude de parcelles se substituent de grands îlots regroupés, à un moment où l’on assiste à la diminution du nombre d’exploitations (exode rurale, aggrandissement des surfaces exploitéess ) et à la transformation des modes de production (mécanisation, spécialisation,  irrigation).

 

- Les remembrement mettent fin aux usages collectifs des vaines pâtures : le conflit séculaire entre les agronomes et le milieu agricole  touche à sa fin.

 

- À noter également que les remembrements sont également contemporains de la rectification des cours d’eau secondaires.

 

- A cette époque, avec l’avènement d’une agro-chimie, les pollutions changent de nature : d'une pollution organique liée aux activités d’un artisanat macérateur, on passe à une pollution chimique liée à l’agriculture intensive, productiviste.

 

 

- Cette période est aussi le moment d’une urbanisation forte : du point de vue de l’approvisionnement en eau potable, on constate un changement d’échelle, en passant du réseau communal au grand barrage réservoir. S’ajoute l’avènement de la station d’épuration de La Mothe-Saint-Héray (mise en service le 1er octobre 1987).

Des années 1990 à nos jours

On assiste, au début des années 2000, à la mise en culture des fonds de vallée. Les contraintes environnementales deviennent de plus en plus fortes pour les exploitations du plateau (notamment en matière d’irrigation et d'épandage), incitant la descente des cultures fourragères (maïs en particulier) en fond de vallée.  C’est ainsi qu’aujourd’hui, la Prairie Mothaise n’a de prairie quasiment que le nom.

 

Reconstitution en bloc diagramme de 1990 à aujourd'hui
Reconstitution en bloc diagramme de 1990 à aujourd'hui

Dans le même temps, la Prairie Mothaise est valorisée dans le discours environnemental et sanitaire pour son rôle épurateur. On assiste à l’essor d’une véritable esthétique écologique.


Enfin, de nombreuses dynamiques jouent un rôle non négligeable dans la qualité des eaux : Les carrières (2003, Lafargue rachète les carrières – 2008 plan d'épuration de ses eaux ...), le développement de la zone d'activité de Sainte Eanne (abattoirs, SMC, entreprise de refrigération...), le développement de l’habitat le long de la D737 ...

Article réalisé d'aprés l'intervention de Rémi Bercovitz, lors de la présentation de sa recherche doctorale à l'Assemblée générale de l’ANATAF, Conseil Général des Deux-Sèvres à Niort – mai 2014

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